Guy Bourdin est essentiel

 

Guy Bourdin est à la photographie ce qu’Andy Warhol est à la peinture, un iconoclaste incontournable qui changé notre façon de voir. Bourdin est le produit d’un esprit Français,  éclairé par Laclos, Voltaire, Zola, étudiant le monde et ses acteurs en artisan averti. Son art en est le reflet; juste, fort, certainement pas dupe. Un regard à qui l’on “ne raconte pas d’histoires”. Un regard qui nous séduit en étant plus malin, plus inventif, un peu troublant.

Bourdin est aussi le reflet d’une société en pleine ébullition, en pleine révolution. Les chocs de Sartre, Beauvoir, Genet, Vian, Barbara, Charlie Parker, Chet Baker, les Rolling Stones, la guerre au Vietnam; mais aussi le féminisme, une nouvelle idée de la sexualité, de Mai ’68 à Mary Quant, de Cacharel à Paco Rabanne et Yves Saint Laurent.

Ses images se lisent sur plusieurs plans, ont toujours une histoire dans l’histoire, plusieurs degrés de lecture. Premier degré, agréable, aguicheur, drôle, beau; deuxième degré, un peu douloureux et certainement coquin. Qu’est qu’être coquin? être drôle, spirituel; simplement réaliste, le contraire du romantique. Bourdin n’aime pas édulcorer, il met en lumière, il met en “couleur” le sentiment humain. Il a besoin d’inventer, changer l’idée du chic, en redéfinir les normes.

L’intelligence et l’humour de Duchamp, l’inventivité de Man Ray, le formalisme structurel de Rodchenko, la modernité du Corbusier et les aplats de couleurs de Nicolas de Staël sont plus proches de sa vision. Révolutionner la photographie en introduisant la couleur pure, violente, insolante, fondamentale à la structure et à l’équilibre de l’image.

Le contraire absolu de l’école d’Henri Cartier-Bresson qui nous raconte des histoires simples, lisibles au premier degré, imprimant sur le papier jusqu’aux marges marges noires du négatif pour nous expliquer que “ceci est une photo”. Bourdin casse tout cela et nous dit “ceci est une image faite de lumière et d’aplats de couleur, comprenez ce que vous voudrez”. En faisant cela il transforme à jamais la photographie, lui permettant d’exister non seulement par le fond, mais aussi par la forme, ouvrant ainsi la porte à un produit de l’esprit, à l’Art.

(publié dans le magazine Best, Paris, Juin 2003, à l’occasion de la retrospective Guy Bourdin au Victoria & Albert Museum, Londres)

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