Pierre “Fatumbi” Verger: le désir de l’autre

En 1957, à la demande de Théodore Monod, Pierre Verger publie “Dieux d’Afrique”, étude “Ethno Documentaire” sur les cultes religieux d’origine Yoruba. Dans ses notes Pierre Verger nous révèle:

“A partir de ce moment là, j’étais perdu pour la photo. En effet j’étais obligé de rédiger et d’essayer de comprendre les choses…Ma vie jusque là était détendue, je ne cherchais pas à analyser ce que je voyais. Je me laissais aller à mes impressions, je passais sur le déclic de mon Rolleiflex de temps en temps. Pas d’explication, les explications ne m’ont jamais intéressé. Ce que je voulais, c’était voir les choses et jouir de la beauté des choses”

C’est donc ce qu’il a fait avant 1957 qui est intéressant, tout ce qui est, non pas le produit d’une commande, mais le fruit d’un esprit libre et curieux.

Pierre Verger naît à Paris en 1902 issu d’une famille de grands bourgeois, il participe à la vie de l’entreprise familiale (imprimeries) et mène dans les années 20 la vie d’un jeune dandy aisé.

L’année 1932 est décisive, il acquiert son premier Rolleiflex, puis au décès de sa mère, décide d’assumer son plus ardent désir, celui de devenir un voyageur solitaire. Depuis la mort de son père et de ses deux frères, sa mère était son dernier parent, une personne qu’il ne voulait nullement blesser par le choix d’une vie errante et anticonformiste.

De Décembre 1932 à Août 1946, ce sont quatorze années consécutives de voyages autour du monde, au cours desquelles Pierre Verger vit presque exclusivement de la photographie. Il négocie la vente de ses images avec des journaux, des agences et des institutions.

Quand Pierre Verger entreprend son premier grand voyage, il traversera lentement d’immenses territoires. Il a pour but Moorea en Polynésie Française, sur les pas de Paul Gauguin dont il admirait le parcours et l’oeuvre.

L’Europe et la Russie des années trente sont sous le joug de régimes totalitaires qui imposent une représentation figée d’elles mêmes. Volonté de puissance et d’ordre, l’architecture même reflète ce désir grandiose de conformisme mortifère. Les premières images de Pierre Verger en sont souvent imprégnées. Construites et composées, habitées par des lignes droites, des angles, des carrés.

Au fur et a mesure qu’il se dirige vers des pays chauds, ces lignes seront brisées par des courbes, des personnages en premier plan, le désordre, la vie.  Au fil des années, ce qui est rond, langoureux et sensuel prendra toute sa place. Magnifique hommage à une habitude hélas oubliée, les impudiques dormeurs de sieste à Bahia seront un beau reflet de ce nouveau vécu.

Une photo est le résultat d’une série de décisions, conscientes ou inconscientes; on choisit un point de vue, un cadrage, une lumière, ce que l’on voit, ce que l’on espère transcrire.

L’objectivité n’y est pour rien, le choix du cadrage qui en soi réduit ce que l’on voit strictement à l’instinct du photographe, peut être encore transformé au moment de l’impression du tirage. Dans la chambre noire on peut encore recadrer, recouper, jouer avec intensité de la lumière et ainsi renforcer ou alléger le propos.

L’invention de la Psychanalyse à la fin du 19ème siècle s’intéresse à expliquer l’idée du conscient et l’inconscient, le moi et le sûr-moi. Toute création est le produit de ce mélange. Equilibré ou déséquilibré, peu importe la raison du doux mélange, le résultat en est l’émanation.

Au 15ème siècle, Cennino Cennini, peintre Florentin, sera le premier à évoquer de manière simple le processus de création. Ainsi, lorsqu’il demande à deux élèves de son atelier de dessiner un cercle sur du papier, il constate que même en s’appliquant du mieux qu’ils peuvent, il est impossible que ces deux cercles soient parfaitement identiques. Cennino Cennini en conclut que la main n’est pas dirigée par l’esprit mais par l’âme.

Pendant quatorze années d’errance, porté par le désir, Pierre Verger va nous inviter à partager son regard pudique sur le monde à la découverte d’émotions qui le transforment. Le reflet d’une âme en paix avec elle même, libre et curieuse, s’intéressant à l’autre, au lointain, elle ira même jusqu’à devenir l’autre.

La fascination de l’Asie; son mélange de rigueur et de débrouille, il se rendra notamment au Japon, en Chine, au Vietnam, au Cambodge et au Laos.

L’appel de l’Afrique; particulièrement le Golfe du Bénin, ses peuples divers, ses croyances et ses rituels dont il sera le témoin privilégié et le principal divulgateur.

La révélation du Brésil enfin, ou son âme trouvera refuge à Salvador da Bahia. “Baie de tous les Saints”, point d’encrage de Pierre Verger de 1946 jusqu’à sa mort cinquante ans plus tard. “Baie de tous les Saints” enivrant et goûteux mélange, parfait reflet de ses désirs. “Baie de tous les Saints” métissage de couleurs, de religions, de musiques, de chaleurs et de chaleur humaine.

 

(Extraits de la conférence que j’ai donné pendant l’exposition: Pierre Verger: Oeuvre Photographique, Musée du Jeu de Paume, Paris, 2005)

All images copyright Fundaçao Pierre Verger 

In Praise of: “Portrait of an Artist (Pool with Two Figures)” 1972

Today I am starting a series that will show up regularly on ArtWise: “In Praise of” is a short tribute to a particular work of an artist, contemporary or historical, that constitute the wide pantheon of sustained enthusiasms of my ever curious mind. Basically, they “Rock my World” and make it ever so enchanting!

Hockney peter by pool

 “Portrait of an Artist (Pool with Two Figures)” 1972

David Hockney takes time to work on his canvases, so indeed this particularly beautiful California view, which shows Peter Schlesinger at the edge of the pool and John St Clair swimming, was painted in his London studio. His technique of using various photographs, taken indifferently of time or place and then re-organising them, is a form of masterful manipulation of the eye.

Playing with our perception and distorting perspectives has always been a key element of Hockney’s work. We can see that in his very early work, his photography compositions of the ’80’s or his magnificent late large canvases of English landscapes.

Having been in love with the California sun and the boys glowing under it since his childhood, in 1964 as soon as success came about, David left his native dreary England for Los Angeles where he would live, love and work, off and on, for a large part of his life.

“Portrait of an Artist (Pool with Two Figures)” 1972, is a dreamy composition imagined by Hockney. Peter Schlesinger, young Art student at UCLA, then David’s lover, stands above the pool, considering, looking, without looking at another human being gently swimming silently underwater. A sense of foreboding in this idyllic surrounding impregnates the painting: Peter was becoming more distant and moved out while David was painting it. This magnificent canvas filled with yearning reminds me of a short poem by Constantine P. Cavafy, (poems from which David would make a series of illustrations):

“I was always struck by beauty, moved by it’s perfection, it was always there, other, and I, here, flawed.”

 

Guy Bourdin est essentiel

 

Guy Bourdin est à la photographie ce qu’Andy Warhol est à la peinture, un iconoclaste incontournable qui changé notre façon de voir. Bourdin est le produit d’un esprit Français,  éclairé par Laclos, Voltaire, Zola, étudiant le monde et ses acteurs en artisan averti. Son art en est le reflet; juste, fort, certainement pas dupe. Un regard à qui l’on “ne raconte pas d’histoires”. Un regard qui nous séduit en étant plus malin, plus inventif, un peu troublant.

Bourdin est aussi le reflet d’une société en pleine ébullition, en pleine révolution. Les chocs de Sartre, Beauvoir, Genet, Vian, Barbara, Charlie Parker, Chet Baker, les Rolling Stones, la guerre au Vietnam; mais aussi le féminisme, une nouvelle idée de la sexualité, de Mai ’68 à Mary Quant, de Cacharel à Paco Rabanne et Yves Saint Laurent.

Ses images se lisent sur plusieurs plans, ont toujours une histoire dans l’histoire, plusieurs degrés de lecture. Premier degré, agréable, aguicheur, drôle, beau; deuxième degré, un peu douloureux et certainement coquin. Qu’est qu’être coquin? être drôle, spirituel; simplement réaliste, le contraire du romantique. Bourdin n’aime pas édulcorer, il met en lumière, il met en “couleur” le sentiment humain. Il a besoin d’inventer, changer l’idée du chic, en redéfinir les normes.

L’intelligence et l’humour de Duchamp, l’inventivité de Man Ray, le formalisme structurel de Rodchenko, la modernité du Corbusier et les aplats de couleurs de Nicolas de Staël sont plus proches de sa vision. Révolutionner la photographie en introduisant la couleur pure, violente, insolante, fondamentale à la structure et à l’équilibre de l’image.

Le contraire absolu de l’école d’Henri Cartier-Bresson qui nous raconte des histoires simples, lisibles au premier degré, imprimant sur le papier jusqu’aux marges marges noires du négatif pour nous expliquer que “ceci est une photo”. Bourdin casse tout cela et nous dit “ceci est une image faite de lumière et d’aplats de couleur, comprenez ce que vous voudrez”. En faisant cela il transforme à jamais la photographie, lui permettant d’exister non seulement par le fond, mais aussi par la forme, ouvrant ainsi la porte à un produit de l’esprit, à l’Art.

(publié dans le magazine Best, Paris, Juin 2003, à l’occasion de la retrospective Guy Bourdin au Victoria & Albert Museum, Londres)

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